Il était une fois, il y a très longtemps. C’était au
temps des dragons et des châteaux. Dans un grand château qui était très très grand,
vivait un prince qui d’après les rumeurs était très beau. Le château était très
beau et très bien entretenu, tout brillait, tout étincelait. Les petits
oiseaux qui pépiaient dans le parc s’écrasaient de temps à autre sur les
carreaux des fenêtres transparentes de propreté. Dès qu’un impact avait lieu,
une femme de ménage surgissait aussitôt afin de nettoyer la trace de sang
laissé par le pauvre moineau. Au même moment, un larbin jaillissait d’une porte
de service et récupérait le cadavre avec une pelle et une balayette et le
balançait dans la première poubelle venue.
La propreté avait exterminé tous les acariens ainsi
que les blattes et autres petites bestioles qui aiment bien se réfugier dans
les châteaux des princes. Le château était si propre qu’aucune espèce animale
n’arrivait à survivre. Même les chats préféraient fuir cet endroit si propre où
les souris étaient un lointain souvenir et, où les griffes n’arrivaient plus à
pénétrer les épaisses couches de vernis.
Le prince dans cet univers nickèle était presque
heureux. Il aimait se promener avec des chaussures à semelle en caoutchouc afin
de ne pas glisser sur les parquets cirés. Une femme le suivait en patin pour
effacer les traces qu’il aurait pu laisser. Cependant une pointe de mélancolie
titillait son bonheur. Elle était due à l’importance des charges sociales qu’il
reversait tous les ans à l’état. Son nombreux personnel d’entretien lui coutait
la peau des fesses. Bien qu’il eût des actions dans les épices, son train de ménage
le ruinait petit à petit. Cependant, la moindre poussière qui flottait dans un
rayon de soleil, le moindre brin d’herbe qui dépassait, le poil qui s’agitait
sur la poignée de la baie vitrée, le déprimait encore plus.
Il aurait pu revendre le château et s’acheter une
petite maison aisée à entretenir. Mais il était un prince, et les princes comme
dans tous les contes vivent dans un château.
Le prince ne savait que faire. Il était doué pour la
guerre, pour festoyer, pour ne rien faire, mais ne savait pas gérer des
problèmes existentiels. Donc plus le temps passait, plus sa mélancolie prenait
de l’ampleur et plus il se morfondait.
Heureusement, les princes ont de la chance. Cette
chance prit l’apparence d’une tante fée acariâtre, n’y voyez aucun rapport avec
les acariens. Cette tante adorait son filleul. Elle lui ordonna d’organiser un
bal. Le prince sceptique mais obéissant n’osa pas la contrarier. Pourtant il
aurait aimé. L’organisation d’un bal est une source de désordre et de salissure
en tout genre qu’il faudra nettoyer.
Le jour du bal arriva. Une cohorte d’invités envahit
le château après être passé dans un sas de décontamination et un autre de
stérilisation. Aucun morpion ne survivra. Le prince comme dans tous les contes de
fée dansa enfin avec une femme charmante, d’après les rumeurs. Cette future
princesse qui se prénommait Cendrillon lui raconta ses déboires esclavagistes
de femme de ménage imposés par sa belle-mère acariâtre allergique aux acariens.
Le prince tomba aussitôt amoureux de la femme qui ne sommeillait pas en elle.
S’il l’épousait, il pourrait licencier son personnel et ainsi vivre sans
soucis. Malheureusement au dixième coup de minuit la princesse s’enfuit en
abandonnant un chausson de verre. Le prince réagit mal à l’abandon du chausson ;
le désordre l’insupportait. Puis sous les conseils avisés de la fée, il
rechercha Cendrillon qu’il finit par retrouver.
Ils se marièrent dans l’intimité la plus intime pour
éviter le désordre et eurent de nombreux enfants.
Cendrillon fidèle à sa réputation récura tous les
jours le château à la grande joie du prince. Il licencia son personnel et sa
mélancolie disparut. Mais un matin de printemps, Cendrillon fut témoin d’un
accident : un moineau percuta une fenêtre. Cendrillon se sentit
responsable du décès du moineau. Elle cessa immédiatement son activité
décapante et le château devint un refuge pour animaux. Du jour au lendemain le
château se mua en un château qui se respecte, avec ses toiles d’araignée, ses
souris, ses rats, ses chiens, ses puces, ses blattes, ses acariens et de
nombreux mômes qui égayaient les sombres oubliettes. Le prince ne survécut pas.
Il fut emporté par une allergie aigue aux acariens, même sa tante acariâtre fut
impuissante.
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