Je suis fier. J’ai été
intronisé dans le monde des petits vieux. J’ai passé les tests avec succès.
J’ai eu une mention très bien à l’oral et à l’écrit. J’ai mon diplôme affiché
dans la chambre face à moi lorsque je suis couché.
Malheureusement ne
devient pas vieux qui veut. Il y a un rituel de passage qui demande un don de
soi au Dieu Géras. Pas grand-chose, juste un petit bout d’organe ou l’organe
tout entier, tout dépend de sa mansuétude. Géras était dans un bon jour, il ne
m’a pas demandé grand-chose. Des personnes âgées meurent à un âge avancé sans
avoir eu la possibilité d’être vieilles. Elles sont fautives, elles ont refusé
de faire un don. Quelle horreur ! Mourir à 90 ans sans être vieux.
Ont-elles droit à la carte sénior plus ? Ont-elles droit au minimum
vieillesse ? ont-elles droit aux places assises dans le métro … ?
J’espère que non.
Le rite de passage est
légèrement cruel. Mais pas plus cruel que les rituels d’intégration chez les
étudiants lors de leur entrée en première année. Le bizutage, dans certaines
écoles, est encore plus barbare. Tandis que le rituel de passage chez les vieux
est pratiqué sous anesthésie ou péridurale. Et en plus, lors de la sortie de la
maison de soins, une impression 3D de votre organe vous est gracieusement
donné, l’originale étant offert à notre Dieu bien aimé.
Le rituel de passage ne
se passe pas aussi bien que prévu. Des effets secondaires voire tertiaires se
produisent au grand étonnement du personnel médical. D’accord, je n’ai pas
d’éruption de cratères nés de pustules, ni des morceaux de membres qui tombent
comme les feuilles mortes des livres lors d’un autodafé et ni des oreilles
d’âne.
Le résultat est juste à
l’inverse que celui espéré. Ce n’est en soi pas grand-chose. Juste une
inversion de polarité. Du (+) je suis passé au (-), il suffit d’un petit trait
vertical pour former de nouveau un (+). Cependant la médecine est par moment
irrationnelle, (2+2=2) ne la choque pas. Le but pour elle est de tendre vers un
résultat. Ce résultat dépend de tant de constantes qui ne sont pas constantes
que le patient en perd parfois son latin. Même les non latinistes sont capables
de perdre une langue morte qu’ils ne connaissent pas. N’est-ce pas la même
l’irrationnalité de la médecine ?
Du coup je me promène
avec une poche qui me suit partout. Je suis reliée à elle par un fil qui
recueille mon trop plein de rationalité. Le sans-fil n’existe pas pour ce genre
d’application. Dommage, j’aurais été moins emmerdé. D’autant plus que la poche,
prônant elle aussi l’irrationnalité, a laissé échapper cette nuit et ce matin
son contenant. Etant un être rationnel, j’ai retiré la poche et j’ai mis la
sonde dans une botte afin de ne pas laisser de trace en marchant.
Ce midi, je suis invité,
j’essaierai d’être discret en retirant les bottes. Et que faire du liquide qui goutte
! Le tuyau est suffisamment long pour être placé sous la chaise voisine.
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