La famille a fêté les onze ans de Louise le 21 mars. C’est un
événement que nous fêtons en général tous les ans. Nous sommes
des conservateurs traditionalistes réactionnaires. Nous sommes
restés très basiques et continuons à perpétuer cette tradition
désuète d’allumer des bougies dont la cire coule sur le gâteau.
Cette année, j’ai refusé de souhaiter un heureux ou joyeux
anniversaire à ma fille. Le responsable est un flash-back ou un
retour de mémoire spontané et impromptu (pour les francophone
intégriste). Le retour en arrière, qui est d’ailleurs plus facile
à exécuter qu’un retour en avant, a laissé sur la langue une
amertume dont trois cafés calva n’ont pas réussi à atténuer.
À mes onze ans, ma fille Louise ne m’a pas souhaité mon
anniversaire.
Ce souvenir, surgissant après cinquante années, était intact.
Comment avait-il pu resté aussi net après un demi-siècle de vie de
débauche, entrecoupé de séjours en cure de désintoxication ?
Je l’ignore. Peut-être les bienfaits de l’alcool ? Il me
fut impossible donc de chanter en cœur : « joyeux
anniversaire », à la grande joie de ma femme qui est
allergique à mon sens du tempo.
Louise intriguée et attristée par mon comportement me questionna.
Je lui expliquai les raison de ma réaction que je considérai et que
je considère toujours fort appropriée. Elle me répondit :
- Mais papa, je n’étais pas née !
Je me retins de justesse de la corriger sévèrement. Une telle
suffisance de sa part n’aurait pas dû m’étonner. Mais être
poignarder dans le dos par sa propre fille est un arrache-cœur. Son
excuse était méprisante : elle n’était pas née. Et
alors !? Elle aurait pu faire un effort :
- Coucou papa ! C’est moi Louise. Je passe juste pour te
souhaiter un heureux anniversaire.
Trois mots et j’étais le plus heureux des papas. Mais que nenni,
rien même pas un petit télégramme :
Bon anniversaire papa stop je t’aime stop.
- Papa
- Oui ?
- C’est l’heure de retourner à l’EHPAD
Elle n’aura pas de réponse, je viens de réaliser qu’elle n’a
fêté aucun de mes anniversaires pendant cinquante ans et des
poussières.
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