Ouf ! J’ai été recraché par le syndrome de la page blanche. Cependant ça ne change rien. La page est toujours aussi blanche et je ne trouve pas les crayons de couleur qu’un de mes enfants a égarés.
Je suis comme une vieille vache laitière. Mon imagination sort du cerveau au goutte-à-goutte. Je sens le regard de mon maître qui soupèse ma masse musculaire et graisseuse. Il convertit les kilos en euros. Si je ne suis plus rentable, je finirai mes jours sur un croc de boucher. Peut-être, serais-je accompagné d’un ancien premier ministre ? Je n’y tiens pas. Par moment, la solitude est un met de choix. Surtout si une compagnie indésirable est imposée éternellement.
Pour l’instant, je suis encore en vie et mon devoir est de remplir une petite page de rien du tout.
Comment remplir un contenant lorsque le contenu est introuvable ? Ou plutôt comment réunir le contenant et le contenu au même instant ? En général, la nuit, je suis encombré par un surplus de contenu. Ce n’est pas exact, j’ai du contenu, mais pas de contenant. Souvent le soir, avant de me coucher, je prévois de prendre avec moi un papier et un crayon afin de noter les idées que je considère géniales. J’oublie, et lorsque je n’oublie pas (c’est très rare), j’ai trop la flemme de m’assoir et d’écrire.
La nuit, je suis comme un agriculteur sans engin agricole, possédant des blés bien murs. La journée c’est le contraire, j’ai plein de tracteurs, de moissonneuses batteuses, de charrue pour cultiver l’intérieur d’un pot de fleur.
C’est une des raisons pour laquelle je gribouille au lever de jour. Il y a une très courte période où le contenant et le contenu se croisent.
Je devrais demander des subventions à la communauté européenne. Ne suis-je pas un producteur de lait et un céréalier ? D’accord, les friches et jachères occupent la majorité de l’espace disponible. La culture n’est pas ma spécialité. J’ai un rendement très faible. Le temps que j’écrive une page, un agriculteur laboure un hectare de terre et un intellectuel ingurgite le dernier pavé traitant de l’influence de la pression atmosphérique sur les révolutions arabes, écrit par le philosophe libertaire.
La page n’est pas tout à fait pleine. C’est une mesure de sécurité. Il ne faut jamais remplir à ras bord un récipient. Sinon, il y a un risque qu’il déborde ou qu’il explose.
Je n’aimerais pas qu’un mot de trop chamboule la page.
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