D’après une idée de mon fils qui s’étonne de l’absence
de moutons noirs dans la chanson.
Il pleut
bergère presse tes blancs moutons. Dit l’homme pressé d’emmener sa conquête
chez sa mère et surtout dans son lit. La bergère naïve le suit docilement,
rassurée par la présence de la mère.
Cependant dans le troupeau, il y a comme une fronde
naissante. Elle n’a aucun rapport avec la future perte de virginité de la
demoiselle. Un mouton pas comme les autres ose protester. Au pays des moutons,
c’est une anomalie digne d’une psychanalyse à vie.
- Monsieur, monsieur, pourquoi ne me demandez-vous pas
de me presser ? Moi aussi, je veux
m’abriter dans la bergerie.
L’ensemble des autres moutons, héritier de la
philosophie de Panurge, râlent :
- Le noir, tu fermes ta gueule. Tu ne fais pas
d’histoire. Sinon, nous risquons de rester tous dehors. L’homme n’a qu’une
envie, c’est de coucher avec la bergère.
Le mouton de couleur noire, insiste :
- Monsieur, monsieur, je peux venir avec vous ?
Ma laine est sensible à l’humidité.
L’homme entend la revendication du mouton.
- Qu’est-ce que tu me chantes là ? En Afrique
équatoriale, il pleut tous les jours.
- Monsieur, monsieur, je ne suis pas africain mais
breton, je suis originaire d’Ouessant.
Le berger murmure dans sa barbe :
- Des noirs originaires de Bretagne ! Tout fout
le camp.
A haute voix,
il répond au mouton :
- Tu devrais être heureux comme un poisson dans
l’eau, la pluie est ton élément naturel.
- Monsieur, monsieur, d’accord je supporte la pluie,
mais je ne veux pas rester tout seul dehors. La nuit, les chiens errants me
dévoreront, et de vieux pervers zoophiles seraient capables d’abuser de mon
innocence. Alors, s’il vous plait, dites : il pleut bergère, rentrez vos blancs moutons et le noir mouton.
- Ce n’est
pas possible. Le rajout va déséquilibrer
le tempo.
Le troupeau se disloque, les chiens ne savent plus
où donner de la dent. La majorité des moutons entoure la bergère et le
prétendant en rut. Le mouton noir est isolé à l’autre extrémité, petit à petit
il endosse le costume de pestiféré. Entre les deux, quelques brebis hésitent,
elles sont tiraillées entre l’ordre des choses, qui est le mâle dominant acquis
à la cause du courtisant, et les paroles d’une brebis galeuse qui est prête à
en découdre pour défendre la veuve et l’orphelin.
Le mâle dominant n’est pas à l’aise dans ses sabots
fendus. Il en ignore les raisons, mais il se méfie de ce mouton noir, peut-être
une jalousie ancestrale.
Le séducteur s’impatiente et houspille la bergère
afin qu’elle remette de l’ordre dans son troupeau. La pluie tombe drue, il est
trempé. La séduction, sous le soleil c’est sympa, mais sous la pluie, lorsque
l’on n’a pas un p’tit coin de parapluie,
on n’a pas un p’tit coin de paradis.
La bergère ne presse pas ses moutons, le temps
presse et l’entreprise de l’entreprendre risque de faire faillite. Il n’a que
très peu de temps avant le retour de sa mère.
La bergère est décontenancée. Elle aime tous ses
moutons sans exception. Il est hors de question qu’elle en abandonne un. De
plus, la pluie elle aime ça. Elle renâcle donc à l’injonction de son futur
ex-prétendant. Elle donne l’ordre aux chiens de cesser de mordiller les jarrets
et se laisse un peu de temps pour réfléchir.
Le bélier n’est pas du même avis. Abandonner le noir
aux chiens errants est pour lui une excellente idée.
Le futur ex-séducteur
n’en peut plus de mâter les fesses de la bergère sans pouvoir y toucher.
Le troupeau se scinde en deux, d’un côté le bélier
et ses aficionados, de l’autre le mouton noir, la brebis galeuse et ses fans.
Le mouton noir insiste, encouragé par l’arrêt des
mordillements et le soutien de la brebis galeuse :
- Monsieur, monsieur, je me ferai tout petit. Dans
le noir de la bergerie, je me fondrai. En plus je sais faire plein de choses,
tondre le gazon, faire de la laine. Lors de ma mort je ferai un don d’organe, si
vous êtes sympa, je vous laisserai mes
meilleures côtelettes.
Le bellâtre est à bout. Ce con de mouton va tout
faire foirer. Il sent la bergère hésitante. Pour ne pas arranger les choses la
pluie s’arrête, la chanson n’a plus lieu d’être. Il chope la bergère par le
bras, l’entraine de force vers la bergerie, où le grenier garni de foin fera
une couche parfaite. La bergère tente de se débattre, mais le rustre est fort
comme un taureau. Tout le troupeau suit, même le noir. Il est difficile de
rompre avec un atavisme profondément ancré dans les gènes qui mène à un abri.
Seul le bélier tique. La comparaison de la force de l’homme à celle d’un
taureau l’insupporte. Dans sa tête où les cornes prennent autant de place qu’à
l’extérieur, une colère explose. Des éclairs zèbrent son crâne. Cela l’irrite encore plus. Il n’aime pas les
zèbres, animaux sans poils laineux. Il baisse la tête, s’arque boute sur ses
sabots, démarre à la vitesse d’un bélier et propulse l’homme directement dans
le grenier de la bergerie.
La bergère libre, fait aussitôt demi-tour, suivie
par le troupeau et le mouton noir. Le bélier est resté seul dans la bergerie.
Le coup de tête a déclenché une pulsion folle et bientôt addictive. Le coup de
tête dans le postérieur de l’homme.
La bergère se repose au pied d’un arbre. Elle entend
une voix qui lui propose de bouter les noirs et les arabes hors de France.
Elle lui répond :
- C’est cela, dans la famille, nous avons déjà notre
martyre qui a brulé vive sans anesthésie. Si vous voulez broyer du noir, Charles
Martel a une descendance spécialisée dans l’expulsion. Si vous ne trouvez pas,
c’est à droite de l’hémicycle.
Le mouton noir se retrouve à la tête d’un harem,
cependant en tant que breton, il refuse de monter ses dames, à l’exception de
la brebis galeuse.
Ils se marièrent et eurent de nombreux enfants gris.
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