Je suis un fervent téléspectateur d’une chaine
d’information dont je terrai le nom pour ne pas être poursuivi de louanges. L’information
est concise, précise, étayée par des reportages objectifs, expliquée par des
spécialistes pédagogues et approfondis par un
historique utilisant des images d’archives.
Grâce à des relations, j’ai pu assister à la
préparation d’un des journaux de la journée. L’information clé était
l’intervention militaire au Mali. Le dialogue est tel que je l’ai
entendu :
- Bordel de merde ! C’est pas possible, nous
n’avons pas un seul journaliste en Amérique du sud.
Une jeune stagiaire préposée au café ose intervenir.
- Pardon monsieur, le Mali se situe en Afrique.
- C’est qui cette conasse qui me casse les couilles !
Virez-là.
Un technicien contacte enfin une journaliste un peu défraichie par la vie qui, de temps
à autre, écrit une pige pour eux.
- Qu’est-ce tu glandes Nathalie ? On essaye de
te joindre depuis la mort de Lucy. Alors, t’as un scoop pour nous ?
- T’es déjà au courant Pierre !
- Ici, c’est une chaine de l’information. Nous
sommes les premiers sur tous les fronts. Alors ce scoop !
- Ce n’est pas vraiment un scoop. Je viens de me
taper un noir, c’est trop génial.
- Stop ! Stop ! Heureusement que nous ne
sommes pas en direct ! Tu ne peux pas utiliser le terme noir pour désigner
un nègre. C’est discriminant.
-OK, je me suis tapée un homme coloré et c’était le
pied.
-Non ! Et non ! C’est encore discriminant.
Aucun commentaire sur la couleur de peau !
-D’accord, je me suis taper un homme.
-Mais elle est conne celle-là. C’est discriminant
vis-à-vis des femmes. Pas de précision sur l’appartenance sexuelle.
-Bon ! Je me suis tapée
-Trop violent
-Je me suis
- Rassure-toi, il n’y a que toi qui te suis.
-Je me
-Tais
-Je
- te vire
Le rédacteur en chef est comme un lion en cage, sans
la crinière. Le manque d’information sur le conflit au Mali le satellise autour
de son bureau.
- Dommage que Sarkozy ne soit plus là.
L’intervention au mali aurait été différente. Nous aurions eu des images plein
la gueule. Hortefeux, à lui seul aurait fait plus de dégâts qu’un contingent.
A-t-on des nouvelles de notre Roger ? Est-il arrivé ?
- Oui Monsieur, mais il est en Guyane.
- Alors ! Qu’attend-il pour bosser ?
- C’est-à-dire que la Guyane, ce n’est pas la Mali.
- Bande de débiles ignorants, si je l’ai envoyé je
ne sais plus où, c’est pour qu’il infiltre les réseaux islamistes. Et n’importe
quel idiot sait que leur base est dans les pays limitrophes.
- Pardon, patron, vous vouliez dire l’Algérie.
- Enfin quelqu’un de cultivé. La Guyane est donc un…
- Un ?
- Un département de l’Algérie, bougres de cancres.
Il faut tout vous prémâcher. La Guyane française fait partie de l’Algérie
française.
- Euh ! Patron, l’Algérie n’est plus française.
- Le voilà notre scoop. Putain les islamistes ont
déjà pris le pouvoir. Vite, envoyez-y tout le personnel, ainsi que les
secrétaires, les femmes de ménages et la stagiaire que je viens de virer.
Rappelez- moi Nathalie, avec sa passion des nègres, elle va pouvoir infiltrer
le milieu islamiste. Ça me file un sacré coup que nous ayons si vite perdu
notre dernière colonie.
- Pardon patron. Ça fait un bout de temps.
- Putain, c’est quoi ce bordel. Comment cela se
fait-il que je ne sois pas au courant ?
- Patron, c’est de l’histoire ancienne, il y a plus
de cinquante ans que l’Algérie est indépendante.
- Rappelez tout le monde, cinquante ans c’est trop
loin dans le passé pour un scoop.
Le rédacteur en chef aiguillonné par la direction,
elle-même motivée par les actionnaires, eux-mêmes motivés par les dividendes,
examine les courbes de l’audimat, et sent déjà le coup de pied au cul qui va
l’éjecter de son poste.
- Nom de dieu. Cette actualité est aussi plate que
l’encéphalogramme d’une momie australienne. Il n’y a pas un viol, un meurtre,
un attentat pour l’audimat.
La qualité principale d’un rédacteur en chef est
l’adaptation.
- La petite stagiaire est-elle toujours là ?
Parfait. Le spécialiste de l’Algérie, tu l’emmènes à l’extérieur, tu la violes sous
l’objectif de nos caméras. Tu te mets un peu de cirage sur la tronche, ça fera
plus réaliste. Maintenant, j’ai mon scoop : les islamistes violent nos
femmes et nos enfants.
- Patron, je ne peux pas c’est ma fille.
-T’es con où quoi ! Demande à un technicien de
prendre ta place et toi, tu filmes. Un peu d’initiative !
- Patron ! Patron ! Patron ! Nous
avons un scoop !
- Accouche !
- Hortefeux, c’est fait violer par trois immigrés
auvergnats.
Un coup de téléphone de l’Elysée dissuade le
rédacteur en chef de divulguer l’information sur l’ancien ministre. Cependant,
aidé par sa ténacité et son imagination débordante, il réussit à avoir son
scoop : un jeune marié homosexuel violé par des anti-mariages pour tous.
Le rôle du violé sera interprété par moi-même.
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