une petite précision s'impose


Ce blog de voyage, conçu pour raconter notre périple en voilier, s’est transformé progressivement en un blog hébergeant des articles hétéroclites. Ils sont les récits d’autres périples, plus cérébraux que physiques.
Ma compagne préfère ce style de voyage. Une préférence extrémiste, je suis enfermé à double tour dans un cabinet noir. Seul un clavier lumineux me permet de communiquer avec le monde extérieur.







samedi 18 mai 2013

L’information en continue




Je suis un fervent téléspectateur d’une chaine d’information dont je terrai le nom pour ne pas être poursuivi de louanges. L’information est concise, précise, étayée par des reportages objectifs, expliquée par des spécialistes pédagogues et approfondis par un  historique utilisant des images d’archives.
Grâce à des relations, j’ai pu assister à la préparation d’un des journaux de la journée. L’information clé était l’intervention militaire au Mali. Le dialogue est tel que je l’ai entendu :

- Bordel de merde ! C’est pas possible, nous n’avons pas un seul journaliste en Amérique du sud.
Une jeune stagiaire préposée au café ose intervenir.
- Pardon monsieur, le Mali se situe en Afrique.
- C’est qui cette conasse qui me casse les couilles ! Virez-là.
 Un technicien  contacte enfin une journaliste un peu défraichie par la vie qui, de temps à autre, écrit une pige pour eux.
- Qu’est-ce tu glandes Nathalie ? On essaye de te joindre depuis la mort de Lucy. Alors, t’as un scoop pour nous ?
- T’es déjà au courant Pierre !
- Ici, c’est une chaine de l’information. Nous sommes les premiers sur tous les fronts. Alors ce scoop !
- Ce n’est pas vraiment un scoop. Je viens de me taper un noir, c’est trop génial.
- Stop ! Stop ! Heureusement que nous ne sommes pas en direct ! Tu ne peux pas utiliser le terme noir pour désigner un nègre. C’est discriminant.
-OK, je me suis tapée un homme coloré et c’était le pied.
-Non ! Et non ! C’est encore discriminant. Aucun commentaire sur la couleur de peau !
-D’accord, je me suis taper un homme.
-Mais elle est conne celle-là. C’est discriminant vis-à-vis des femmes. Pas de précision sur l’appartenance sexuelle.
-Bon ! Je me suis tapée
-Trop violent
-Je me suis
- Rassure-toi, il n’y a que toi qui te  suis.
-Je me
-Tais
-Je
- te vire
Le rédacteur en chef est comme un lion en cage, sans la crinière. Le manque d’information sur le conflit au Mali le satellise autour de son bureau.
- Dommage que Sarkozy ne soit plus là. L’intervention au mali aurait été différente. Nous aurions eu des images plein la gueule. Hortefeux, à lui seul aurait fait plus de dégâts qu’un contingent. A-t-on des nouvelles de notre Roger ? Est-il arrivé ?
- Oui Monsieur, mais il est en Guyane.
- Alors ! Qu’attend-il pour bosser ?
- C’est-à-dire que la Guyane, ce n’est pas la Mali.
- Bande de débiles ignorants, si je l’ai envoyé je ne sais plus où, c’est pour qu’il infiltre les réseaux islamistes. Et n’importe quel idiot sait que leur base est dans les pays limitrophes.
- Pardon, patron, vous vouliez dire l’Algérie.
- Enfin quelqu’un de cultivé. La Guyane est donc un…
- Un ?
- Un département de l’Algérie, bougres de cancres. Il faut tout vous prémâcher. La Guyane française fait partie de l’Algérie française.
- Euh ! Patron, l’Algérie n’est plus française.
- Le voilà notre scoop. Putain les islamistes ont déjà pris le pouvoir. Vite, envoyez-y tout le personnel, ainsi que les secrétaires, les femmes de ménages et la stagiaire que je viens de virer. Rappelez- moi Nathalie, avec sa passion des nègres, elle va pouvoir infiltrer le milieu islamiste. Ça me file un sacré coup que nous ayons si vite perdu notre dernière colonie.
- Pardon patron. Ça fait un bout de temps.
- Putain, c’est quoi ce bordel. Comment cela se fait-il que je ne sois pas au courant ?
- Patron, c’est de l’histoire ancienne, il y a plus de cinquante ans que l’Algérie est indépendante.
- Rappelez tout le monde, cinquante ans c’est trop loin dans le passé pour un scoop.
Le rédacteur en chef aiguillonné par la direction, elle-même motivée par les actionnaires, eux-mêmes motivés par les dividendes, examine les courbes de l’audimat, et sent déjà le coup de pied au cul qui va l’éjecter de son poste.
- Nom de dieu. Cette actualité est aussi plate que l’encéphalogramme d’une momie australienne. Il n’y a pas un viol, un meurtre, un attentat pour l’audimat.
La qualité principale d’un rédacteur en chef est l’adaptation.
- La petite stagiaire est-elle toujours là ? Parfait. Le spécialiste de l’Algérie, tu l’emmènes à l’extérieur, tu la violes sous l’objectif de nos caméras. Tu te mets un peu de cirage sur la tronche, ça fera plus réaliste. Maintenant, j’ai mon scoop : les islamistes violent nos femmes et nos enfants.
- Patron, je ne peux pas c’est ma fille.
-T’es con où quoi ! Demande à un technicien de prendre ta place et toi, tu filmes. Un peu d’initiative !
- Patron ! Patron ! Patron ! Nous avons un  scoop !
- Accouche !
- Hortefeux, c’est fait violer par trois immigrés auvergnats.

Un coup de téléphone de l’Elysée dissuade le rédacteur en chef de divulguer l’information sur l’ancien ministre. Cependant, aidé par sa ténacité et son imagination débordante, il réussit à avoir son scoop : un jeune marié homosexuel violé par des anti-mariages pour tous.
Le rôle du violé sera interprété par moi-même.

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