une petite précision s'impose


Ce blog de voyage, conçu pour raconter notre périple en voilier, s’est transformé progressivement en un blog hébergeant des articles hétéroclites. Ils sont les récits d’autres périples, plus cérébraux que physiques.
Ma compagne préfère ce style de voyage. Une préférence extrémiste, je suis enfermé à double tour dans un cabinet noir. Seul un clavier lumineux me permet de communiquer avec le monde extérieur.







mercredi 1 mai 2013

Vin rouge



Je débute un article sans en connaitre le contenu.
Il est une vieille bouteille de vin rouge qui va perdre son hymen pour les dix-huit ans de la plus jeune.  La maman l’ouvre et la laisse reposer pour qu’elle puisse exhaler l’air ambiant. Elle a besoin de s’imprégner de l’atmosphère. Le vin si longtemps prisonnier profite de sa liberté pour libérer les arômes qu’il avait lui-même emprisonné.
Un amateur éclairé de vin ronchonne que la femme aurait dû si prendre plus tôt. Qu’elle commet un sacrilège. Qu’un vin de cet âge se vénère. Que c’est n’importe quoi.
 Le petit dernier qui tient à peine sur ses deux pattes, n’appréhende pas toutes les paroles, mais sent que l’invité, qui est un membre de la famille style tonton, tient des propos pas très gentil vis à vis de sa mère. En représailles, il se glisse sous la table et mord le mollet du malotru à sang.
Le vin, après s’être reposé de son si long repos, arrive sur la table. La mère en posant la bouteille dit :
- Ma fille, ce vin a été mis en bouteille le jour de ta naissance.  Il est ta jeunesse. Dans une gorgée, il y a tes premiers pas, tes premiers caprices, tes premiers mots, tes premières dents, tes premiers pipis sur le parquet,  tes premières images, ton premier petit copain, bref toutes les étapes qui t’ont permises de te construire, de devenir ce que tu es, et ce que tu seras toujours : le bébé de ta maman.
Les verres sont enfin remplis.
Le vin ivre de sa liberté éphémère, laisse éclater ses pigments et ses arômes de fruits rouges séchés. Aux travers des parois, il contemple une dernière fois le monde. Puis, il cascade vers un gouffre où ses arômes ne sont pas assez puissants pour combattre l’ambiance fétide.
La jeune, tout juste majeure, a un hoquet de dégout en ingurgitant la première gorgée. Elle a horreur du vin et en plus elle s’emmerde royalement au milieu des vieux croutons qui sentent l’ail et l’après-rasage. Vivement ce soir, elle fêtera dignement son anniversaire avec ses potes. A la place d’un vieux vin puant, elle s’enfilera de la vodka caramel. Discrètement, elle refile le verre à son frère de deux ans qui est toujours sous la table à chercher une nouvelle proie.
Le frère se précipite sur le verre. Il le porte maladroitement à sa bouche. Boire dans un verre à pied si jeune peut être considéré comme un exploit. Un exploit solitaire, personne n’est témoin de son acte. Lorsque le verre après de périlleuses cascades arrive à sa bouche, il est pratiquement vide. Il reste juste une petite goutte. Elle ne dépasse pas le bout de la langue. Elle est aussitôt éjectée. Le petit n’apprécie pas le cadeau de sa sœur. Pour manifester son mécontentement, il la mordille. Il regrette le temps où sa mère l’abreuvait grâce à ses deux belles outres toujours pleines.
Les vieux croutons, loin des problèmes existentiels des deux jeunes, savourent le vin. Tous sans exception l’apprécient. Même le tonton grincheux ne tarit pas d’éloge.
Pendant ce temps, le père, qui ne supporte pas l’émancipation de sa fille ainée, noie son chagrin dans une bouteille de pinard. Le chagrin possesseur du brevet du cinquante mètres nage libre résiste à la noyade. Beaucoup plus que le père qui est dans un état semi-comateux. Il n’a pas tout perdu. Il a apprécié le vin, le vin de dix-huit ans. Profitant d’un moment  d’inattention,  il a opéré un échange standard.

Le contenu d'un article est quelquefois aussi indigeste qu’une piquette dont la matière première est tout sauf du raisin.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire