Je débute un article sans en connaitre le contenu.
Il est une vieille bouteille de vin rouge qui va
perdre son hymen pour les dix-huit ans de la plus jeune. La maman l’ouvre et la laisse reposer pour
qu’elle puisse exhaler l’air ambiant. Elle a besoin de s’imprégner de
l’atmosphère. Le vin si longtemps prisonnier profite de sa liberté pour libérer
les arômes qu’il avait lui-même emprisonné.
Un amateur éclairé de vin ronchonne que la femme
aurait dû si prendre plus tôt. Qu’elle commet un sacrilège. Qu’un vin de cet
âge se vénère. Que c’est n’importe quoi.
Le petit
dernier qui tient à peine sur ses deux pattes, n’appréhende pas toutes les
paroles, mais sent que l’invité, qui est un membre de la famille style tonton,
tient des propos pas très gentil vis à vis de sa mère. En représailles, il se
glisse sous la table et mord le mollet du malotru à sang.
Le vin, après s’être reposé de son si long repos,
arrive sur la table. La mère en posant la bouteille dit :
- Ma fille, ce vin a été mis en bouteille le jour de
ta naissance. Il est ta jeunesse. Dans
une gorgée, il y a tes premiers pas, tes premiers caprices, tes premiers mots,
tes premières dents, tes premiers pipis sur le parquet, tes premières images, ton premier petit
copain, bref toutes les étapes qui t’ont permises de te construire, de devenir
ce que tu es, et ce que tu seras toujours : le bébé de ta maman.
Les verres sont enfin remplis.
Le vin ivre de sa liberté éphémère, laisse éclater
ses pigments et ses arômes de fruits rouges séchés. Aux travers des parois, il contemple
une dernière fois le monde. Puis, il cascade vers un gouffre où ses arômes ne
sont pas assez puissants pour combattre l’ambiance fétide.
La jeune, tout juste majeure, a un hoquet de dégout
en ingurgitant la première gorgée. Elle a horreur du vin et en plus elle
s’emmerde royalement au milieu des vieux croutons qui sentent l’ail et l’après-rasage.
Vivement ce soir, elle fêtera dignement son anniversaire avec ses potes. A la
place d’un vieux vin puant, elle s’enfilera de la vodka caramel. Discrètement,
elle refile le verre à son frère de deux ans qui est toujours sous la table à
chercher une nouvelle proie.
Le frère se précipite sur le verre. Il le porte
maladroitement à sa bouche. Boire dans un verre à pied si jeune peut être
considéré comme un exploit. Un exploit solitaire, personne n’est témoin de son
acte. Lorsque le verre après de périlleuses cascades arrive à sa bouche, il est
pratiquement vide. Il reste juste une petite goutte. Elle ne dépasse pas le
bout de la langue. Elle est aussitôt éjectée. Le petit n’apprécie pas le cadeau
de sa sœur. Pour manifester son mécontentement, il la mordille. Il regrette le
temps où sa mère l’abreuvait grâce à ses deux belles outres toujours pleines.
Les vieux croutons, loin des problèmes existentiels
des deux jeunes, savourent le vin. Tous sans exception l’apprécient. Même le
tonton grincheux ne tarit pas d’éloge.
Pendant ce temps, le père, qui ne supporte pas
l’émancipation de sa fille ainée, noie son chagrin dans une bouteille de
pinard. Le chagrin possesseur du brevet du cinquante mètres nage libre résiste
à la noyade. Beaucoup plus que le père qui est dans un état semi-comateux. Il
n’a pas tout perdu. Il a apprécié le vin, le vin de dix-huit ans. Profitant
d’un moment d’inattention, il a opéré un échange standard.
Le contenu d'un article est quelquefois aussi
indigeste qu’une piquette dont la matière première est tout sauf du raisin.
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