une petite précision s'impose


Ce blog de voyage, conçu pour raconter notre périple en voilier, s’est transformé progressivement en un blog hébergeant des articles hétéroclites. Ils sont les récits d’autres périples, plus cérébraux que physiques.
Ma compagne préfère ce style de voyage. Une préférence extrémiste, je suis enfermé à double tour dans un cabinet noir. Seul un clavier lumineux me permet de communiquer avec le monde extérieur.







samedi 4 mai 2013

Mémoire




Les deux cafés sont ingurgités. Le cerveau est censé être réveillé. Ce matin, il pédale dans la choucroute. Il a oublié le numéro de compte ainsi que le code secret qui va avec. Le neurone qui contenait les informations a dû décéder cette nuit. S’il m’avait prévenu ce salopiot, j’aurais noté sur un calepin les informations nécessaires.
Ainsi va la vie. Durant de nombreuses années, le cerveau emmagasine des informations, pour mieux les semer plus tard, et en plus, sans prévenir.
Inquiet, je vérifie si je connais toujours mon adresse. Ce soir, j’aimerais pouvoir rentrer et non errer comme une âme en peine à la recherche d’un chez-soi qui aurait disparu de ma mémoire. Je me souviens de mon âge et aussi de l’alphabet ce qui me permet de taper sur les bonnes touches du clavier. Tout va bien.
Un doute frappe à la fenêtre, poli j’ouvre. Le doute m’assaille. Il m’impose que l’adresse n’est peut-être pas la bonne. J’ai oublié de préciser une petite précision qui a une importance toute relative. Le neurone avant de mourir avait transmis à son voisin un numéro compte qui était faux, surement un neurone farceur. Ainsi j’avais tapé le numéro certain de sa validité. Si je quitte l’appartement avec une adresse erronée dans ma tête, je suis perdu. Comment être sûr de la bonne adresse ?
Je panique. Je ne sais pas où j’habite. Si, je connais l’adresse par cœur, je viens de l’écrire dix fois, et en plus elle correspond au courrier que j’ai reçu. J’ai failli l’écrire sur l’écran. Ouf ! Je ne l’ai pas fait. Sinon j’aurais été déçu de ne pas être envahi par des gens curieux de connaître l’auteur des nombreuses inepties qui charpentent le blog. Je connais mon adresse, soit. Si le neurone porteur de l’information décède alors que je suis absent de l’appartement. Comment vais-je retrouver l’appartement ? Je regrette d’avoir ouvert la fenêtre. La solution la plus rationnelle serait que je reste chez moi. Ainsi quoiqu’il arrive, j’aurais un toit pour dormir.
Malheureusement ma patronne qui est aussi ma belle-mère n’acceptera pas une absence non justifiée par sa fille. Je ne peux pas non plus raconter mes doutes à ma femme. Elle me considérera comme obsolète et me jettera à l’hospice.
 Je déroulerai un fil comme Ariane. Le nombre trop important de véhicules emmêlerait le fil, et je ne désire pas passer la nuit à le démêler. Adaptons nous à notre temps. J’ai un téléphone avec cartographie et GPS. Un appui sur l’écran tactile et une petite punaise apparait. Le fil d’Ariane du XXI siècle.
Où ai-je mis mon téléphone ? Dans la poche droite de mon veston qui est suspendu à l’opposé de la robe de mariée de mon arrière-grand-mère du côté de la maîtresse de la femme de ma deuxième femme. Le doute en colère s’enfuit en oubliant de refermer la fenêtre.
Le numéro de compte me revient ; un trou de mémoire plus gros que la moyenne a squatté ma cervelle.

- Chéri, es-tu là ?
Je sursaute, une femme dans mon appartement ! Je n’ai pas le souvenir d’avoir ramené une femelle en chasse. Hier, j’ai un petit peu picolé, mais pas suffisamment pour oublier une nuit torride. Cependant, une femme dans une maison, même si sa présence reste un mystère, est un bon coup à venir. Je ne réponds pas, j’ai peur qu’elle s’enfuit.
- Papa ! Papa ! Papa ! Tu viens jouer avec nous dans le lit.
Le doute absent revient sans ouvrir la fenêtre, il la fracasse et me dicte une évidence :
- Hier soir tu t’es trompé de logement. C’est la seule solution logique pour un vieux  célibataire.
Je prends mes cliques et mes claques et m’enfuis.

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