Les deux cafés sont ingurgités. Le cerveau est censé
être réveillé. Ce matin, il pédale dans la choucroute. Il a oublié le numéro de
compte ainsi que le code secret qui va avec. Le neurone qui contenait les
informations a dû décéder cette nuit. S’il m’avait prévenu ce salopiot,
j’aurais noté sur un calepin les informations nécessaires.
Ainsi va la vie. Durant de nombreuses années, le
cerveau emmagasine des informations, pour mieux les semer plus tard, et en
plus, sans prévenir.
Inquiet, je vérifie si je connais toujours mon
adresse. Ce soir, j’aimerais pouvoir rentrer et non errer comme une âme en
peine à la recherche d’un chez-soi qui aurait disparu de ma mémoire. Je me
souviens de mon âge et aussi de l’alphabet ce qui me permet de taper sur les
bonnes touches du clavier. Tout va bien.
Un doute frappe à la fenêtre, poli j’ouvre. Le doute
m’assaille. Il m’impose que l’adresse n’est peut-être pas la bonne. J’ai oublié
de préciser une petite précision qui a une importance toute relative. Le
neurone avant de mourir avait transmis à son voisin un numéro compte qui était
faux, surement un neurone farceur. Ainsi j’avais tapé le numéro certain de sa
validité. Si je quitte l’appartement avec une adresse erronée dans ma tête, je
suis perdu. Comment être sûr de la bonne adresse ?
Je panique. Je ne sais pas où j’habite. Si, je
connais l’adresse par cœur, je viens de l’écrire dix fois, et en plus elle
correspond au courrier que j’ai reçu. J’ai failli l’écrire sur l’écran.
Ouf ! Je ne l’ai pas fait. Sinon j’aurais été déçu de ne pas être envahi
par des gens curieux de connaître l’auteur des nombreuses inepties qui
charpentent le blog. Je connais mon adresse, soit. Si le neurone porteur de
l’information décède alors que je suis absent de l’appartement. Comment vais-je
retrouver l’appartement ? Je regrette d’avoir ouvert la fenêtre. La
solution la plus rationnelle serait que je reste chez moi. Ainsi quoiqu’il
arrive, j’aurais un toit pour dormir.
Malheureusement ma patronne qui est aussi ma
belle-mère n’acceptera pas une absence non justifiée par sa fille. Je ne peux
pas non plus raconter mes doutes à ma femme. Elle me considérera comme obsolète
et me jettera à l’hospice.
Je déroulerai
un fil comme Ariane. Le nombre trop important de véhicules emmêlerait le fil,
et je ne désire pas passer la nuit à le démêler. Adaptons nous à notre temps.
J’ai un téléphone avec cartographie et GPS. Un appui sur l’écran tactile et une
petite punaise apparait. Le fil d’Ariane du XXI siècle.
Où ai-je mis mon téléphone ? Dans la poche
droite de mon veston qui est suspendu à l’opposé de la robe de mariée de mon
arrière-grand-mère du côté de la maîtresse de la femme de ma deuxième femme. Le
doute en colère s’enfuit en oubliant de refermer la fenêtre.
Le numéro de compte me revient ; un trou de mémoire
plus gros que la moyenne a squatté ma cervelle.
- Chéri, es-tu là ?
Je sursaute, une femme dans mon appartement !
Je n’ai pas le souvenir d’avoir ramené une femelle en chasse. Hier, j’ai un
petit peu picolé, mais pas suffisamment pour oublier une nuit torride.
Cependant, une femme dans une maison, même si sa présence reste un mystère, est
un bon coup à venir. Je ne réponds pas, j’ai peur qu’elle s’enfuit.
- Papa ! Papa ! Papa ! Tu viens jouer
avec nous dans le lit.
Le doute absent revient sans ouvrir la fenêtre, il la
fracasse et me dicte une évidence :
- Hier soir tu t’es trompé de logement. C’est la
seule solution logique pour un vieux célibataire.
Je prends mes cliques et mes claques et m’enfuis.
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