Je séjournais dans une chambre d’hôpital car j’avais des
dysfonctionnements neuronaux. Apaisé par deux petites pilules, j’attendais
qu’on me descende au bloc opératoire afin qu’on échange mon cerveau contre une
occasion de première main. Quand la porte s’ouvrit.
Un couple de personnes âgées entra dans la chambre. Lui,
était grand, il avait l’air benêt. Il portait un costume qui sortait tout droit
d’une armoire dopée à l’antimite. Ses souliers parfaitement cirés complétaient
la panoplie du parfait plouc qui allait à la ville. Elle était rougeaude et
courtaude. Son regard trahissait une anxiété. Ils s’installèrent, puis sa femme
partit rejoindre leur jeune fils qui avait servi de chauffeur.
Nous étions seuls. Il entama la conversation. J’appris
qu’il était là pour une hernie inguinale :
-« A cause des moutons, c’est pas facile les moutons ».
La conversation s’arrêta là, faute d’interlocuteur. Je
n’étais pas en état de causer pour plusieurs raisons. J’étais un peu absent, son image n’était
pas en phase avec mes convictions et ses propos étaient totalement
inintéressants. Un brancardier me sauva en m’emmenant au bloc opératoire.
Lorsque je revins, la chambre était vide, je m’endormis.
Puis il arriva, toujours aussi bavard. Il me mitrailla de
questions auxquelles je ne répondis pas. J’étais encore assommé par
l’anesthésie. Bercé par sa conversation de bas étage, je m’endormis de nouveau.
Je me réveillai plusieurs fois. A chaque réveil, j’étais anesthésié par ses
paroles.
Progressivement je me mis à l’écouter. Le nouveau cerveau
semblait être plus tolérant que l’ancien. J’appris plein de choses :
La période l’agnelage était épuisante.
Il existe des agneaux de prairie et des agneaux de
bergerie. Les premier sont plus cher à la revente, mais moins lourd. Donc en
prix de revient, c’était pareil. Ils étaient revendus au bout de six mois, afin
que ses gentils petits agneaux remplissent les assiettes des horribles
consommateurs de viandes.
Il avait aussi deux
chiens, dont la conversation était plus intéressante que celle de ses propres
congénères. J’étais l’exemple même d’un de ses congénères.
Il était en admiration vis-à-vis de la clinique et du
personnel qui y officiait. Lorsque le chirurgien entra dans la chambre, il se
précipita pour lui serrer la main (ce qui était un exploit, il était alité et
sous perfusion). Le chirurgien, magnanime, se laissa triturer la main.
Après un entretien succinct où il nous expliqua que tout
s’était bien passé. Il nous quitta afin de dépenser ses dépassements
d’honoraires.
Mon voisin repris de suite sa conversation. Je ne sais pas par quel hasard le mot migrant
s’inséra dans la conversation.
Il dit :
- Je n’aime pas le mot migrant.
Il m’expliqua les raisons de son aversion. Elles étaient
toute d’ordre humanitaire. Il avait honte des européens qui étaient incapables
d’accueillir des réfugiés de guerre syriens, et
des réfugiés économiques. Il osa me soutenir que les migrants ne
quittaient par leur « chez soi »de gaité de cœur. Que pour traverser
la mer sur de frêles esquifs, ils devaient être vraiment désespérés. Et tout ça
pour être accueilli par des peuples qui se regardaient le nombril.
Sincèrement je fus choqué, s’exprimer ainsi dans un des bastions du
front national, était un crime de lèse-majesté. Surtout qu’une grande partie de
la population de l’Oise pensent que les gens de couleurs sont tous des voleurs
et des profiteurs de notre système social.
Cet homme-là, à deux pas de moi, avec ses souliers cirés,
son costume à deux balles dans lequel il était aussi à l’aise qu’une brebis
dans la peau d’un loup, était un homme généreux, un humaniste : une petite
étincelle d’espoir dans ce monde de haine.
En sortant de la clinique, je tombais nez à nez avec sa
rougeaude et ses deux enfants trentenaires. Ils ressemblaient à leur père. Je
les apostrophais et leur dit qu’ils avaient un papa avec un cœur en or.
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